La vie de Rita Becassini, 33 ans, a été bouleversée quand on lui a demandé d’organiser une journée de randonnée dans son village d’origine Tannourine dans le cadre du Lebanese Mountain Trail (LMT), le plus grand sentier de randonnée du pays. Ce sentier parcourt 76 villages libanais du Nord au Sud du Liban.  Le projet a été financé et soutenu en partie par l’Union Européenne (UE). 
Découvrez comment le LMT a changé la vie de Rita :    

Cet article a été sponsorisé par EU Neighbours South.

“En 2014, je suis passée par une période assez sombre de ma vie. A ce moment-là plus rien ne me rendait heureuse. J’étais surmenée par les études et le travail, et mon oncle, qui était mon idole, est tombé gravement malade. 
     
Alors j’ai demandé un mois de repos au boulot, mais en réalité je n’y suis jamais retournée. J’ai bien essayé de terminer mon diplôme mais je n’arrivais pas à me concentrer, tout ce que je faisais durant cette période, c’était mettre mes écouteurs sur mes oreilles et marcher, durant six, sept heures par jour, sans but précis. 
     
Alors en mai 2015, j’ai fini par me dire que j’avais peut-être un problème. Je me suis dit que peut-être en rentrant à Tannourine d’où je viens et où mes parents vivent, je pourrais me retrouver, comprendre ce qui se passe et éventuellement aller mieux. Je suis alors arrivée chez ma famille avec mes affaires sous le bras. Là ils ont compris que quelque chose de grave se passait, ça ne me ressemblait pas du tout.
     
Un soir ma mère a insisté pour m’amener à un spectacle d’opéra à Tannourine. Elle savait que j’aimais beaucoup ça et voulait me changer les idées. Lors de la soirée, je suis tombée sur une dame que j’aime beaucoup. Nous avions travaillé ensemble comme les deux seules femmes membres de la municipalité de Tannourine, un poste que mon père avait insisté que je prenne en 2010. Pour lui c’était une fierté d’avoir sa fille au sein de la municipalité.  
     
A l’opéra, elle m’a demandé où j’en étais et je lui ai raconté honnêtement que je me sentais perdue. Le lendemain, elle m’a mise en contact avec le nouveau maire de la ville de Tannourine. Il voulait créer un département de « Information Technology « (IT) et moderniser la municipalité. Il m’a proposé de m’en charger. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler à la municipalité, sur des projets qui avaient un impact direct sur la vie de ma communauté, et que j’ai commencé à aller mieux : j’avais le sentiment que je me rapprochais un peu plus de qui j’étais et de ce dont j’avais besoin.

Photo by Soraya Hamdan


     
Là où les choses ont pris un tournant, c’est quand j’ai rencontré l’équipe de l’Association du Lebanon Mountain Trail, la LMTA. C’était l’été dernier, quand le vice-président de la municipalité m’a chargée de la mise en place du plan d’action développé entre l’association libanaise et la ville de Tannourine.
     
Le Lebanon Mountain Trail est le plus long sentier de randonnée du pays qui traverse plus de 76 villages et villes du Nord au Sud.  Une partie du LMT a été réhabilitée grâce au soutien de l’Union Européenne. Les membres de l’association organisent des randonnées “Walk-Thru” deux fois par an, pour faire découvrir le pays autrement en passant par les régions rurales.
     
Lors des différentes réunions qu’on a eues ensemble, je les entendais parler avec une telle passion que ça a éveillé ma curiosité. Alors quand ils m’ont proposé de faire une marche avec eux en août dernier, j’ai accepté bien que n’étant pas très sportive. 

L’idée était de marcher à Akoura et Ehmej, 18 kilomètres en 2 jours. J’étais inquiète de pas être assez forte physiquement, mais j’ai tenté l’aventure car j’adorais l’ambiance et les personnes du LMT.  Elles étaient comme ma famille : des personnes authentiques et passionnées. Elles m’ont fait sentir que ce chemin de randonnée faisait partie de ma propre identité, que je pouvais entendre mes ancêtres en parcourant ce chemin. Alors forcément, ça m’a motivée ! 

J’ai passé un bon moment mais ce qui a vraiment bouleversé ma vie, c’est lorsqu’on m’a demandé d’organiser l’étape de la randonnée à Tannourine en septembre dernier. 
 

Je ne peux pas décrire le sentiment qui m’a frappée quand j’ai vu débarquer ce bus plein de touristes dans mon village. J’étais tellement émue. Je ne trouve même pas les mots.

Je me suis dit tous ces gens viennent de Beyrouth, parfois même de plus loin, pour découvrir mon village, mon chez moi. C’est là que j’ai commencé à trouver les réponses à mes questions, à comprendre qui je suis et ce qui est important pour moi. 

Depuis que je suis petite mes parents me disent : tu dois réussir, tu viens de Tannourine, plein de personnes célèbres sont originaires de Tannourine ! Alors en voyant de mes propres yeux l’impact que j’avais contribué à créer, sur ma communauté, grâce au LMT, je me suis sentie enfin à ma place et utile. 

J’aurai toujours une immense reconnaissance pour les personnes de la LMTA car en voyant leur passion qui est de faire découvrir la diversité libanaise par la randonnée, j’ai pu découvrir la mienne. Mon rêve est aujourd’hui d’avoir mon propre « business » à Tannourine, quelque chose lié au LMT, peut-être une maison d’hôtes ou une ferme, et montrer au monde entier la beauté de mon village. Je veux montrer qui sont les gens de Tannourine. Je veux faire l’impossible pour mon village. 
     
Je veux aussi prouver à tous les visiteurs qui viennent à Tannourine qu’on a tellement de choses en commun, comme avec les personnes de la LMTA : on vient tous de régions différentes du Liban, de différents milieux et pourtant on a tous en commun nos valeurs, notre authenticité, notre passion et cet amour pour notre pays. 
     
Le LMT m’a appris à continuer de marcher lors d’une randonnée envers et contre tout, j’ai compris que cette devise s’applique aussi à n’importe quel domaine de la vie. Aujourd’hui, je continue à marcher 3 fois par semaine, et je ne compte pas m’arrêter.”

Photo by Soraya Hamdan


Le plus long sentier de randonnée au Liban s’étend d’Andqet, au Nord du Liban, à Marjaayoun, au Sud, sur un sentier de 470 km qui traverse plus de 76 villages, à une altitude allant de 570 à 2 073 mètres au-dessus du niveau de la mer.  Ce sentier était emprunté par nos ancêtres à l’époque où les routes n’existaient pas encore. 
Les membres de l’association se battent pour la préservation de cet héritage, et aussi pour faire découvrir ce parcours aux Libanais et visiteurs du monde entier. Deux traversées du pays sont organisées par l’Association chaque année (la Thru-Walk en avril et la Fall Trek en octobre). Lors de la dernière expédition, plus de 200 participants du monde entier sont venus découvrir le Liban et ont contribué à redynamiser de nombreuses régions marginalisées. 
     
     
Depuis la création du LMT en 2007 , plus de 60 établissements de tourisme (hôtels, restaurants…) ont bénéficié de ses retombées, notamment via de la promotion, des équipements ou des formations de leurs employés, et des centaines d’emplois ont été créés à travers le pays.     

Au-delà d’une simple randonnée, “ le LMT célèbre la beauté de la diversité libanaise, insiste Martine Btaich, directrice exécutive de la LMTA. Certains pensent que c’est à cause de nos différences que le pays est un chaos, nous au contraire on pense que ces différences font la richesse et la beauté du Liban. Ce sentier rassemble les différentes communautés. Il raconte l’histoire de notre pays, un concentré de biodiversité, de montagnes, de patrimoine culinaire et culturel. C’est un appel à la protection de cet héritage partagé et de nos montagnes.”

Dans le cadre du programme AFKAR III de OMSAR financé par l’Union européenne, les sections 3 à 10 ont été réhabilitées entre 2016 et 2018, soit près de 70 km entre la région entre El Qemmamine et el 3aquoura.
Elle a notamment installé le long du sentier 10 panneaux de signalisation qui affichent des informations touristiques, culturelles, géologiques.  Elle a travaillé avec les acteurs locaux et les municipalités, afin d’assurer la pérennité du sentier, sa maintenance et sa promotion en tant que produit touristique pour les villages et les villes qu’il traverse. “Pour la première fois, nous avons pu développer une méthodologie pour travailler avec les acteurs locaux, explique Martine Btaich, méthodologie que nous allons pouvoir répliquer sur le reste du sentier. “ 
L’association a ainsi pu organiser des formations avec des professionnels du tourisme pour assurer une certaine qualité d’accueil dans les maisons d’hôte. Elle a aussi formé les guides locaux pour développer leurs techniques de communication et accroître leurs connaissances sur la géologie, la faune, la flore et la météorologie.

Elle a également implanté un programme d’éducation environnementale, “Trail to Every Classroom”, dans 9 écoles situées le long des sections 3 à 10 du LMT.  17 professeurs et plus de 350 élèves ont ainsi bénéficié de cette formation. L’idée est d’encourager les jeunes à marcher sur le sentier et découvrir les montagnes du Liban. Au travers d’activités ludiques, les élèves ont pu apprendre le cycle de la vie, la pollution de l’eau, visible et invisible, les techniques de chasse responsables et irresponsables, le recyclage, le compost, la reforestation, etc.  A noter que ce programme est également implanté sur d’autres sections du LMT, hors fonds de l’Union européenne.

“Le LMT m’a donné l’espoir qu’il y a encore quelque chose de magnifique dans notre pays, poursuit la directrice exécutive de l’association, quelque chose qui mérite qu’on se batte pour lui. Ça m’a aidé à me réconcilier comme beaucoup d’autres membres de l’association avec ce pays, un peu spécial, qui est le nôtre”.