Les frères Rami et Ralph Sbeih, 33 et 31 ans, ont créé la société Plastc Lab en 2020. Le but, utiliser les déchets plastiques qui submergent le Liban pour les transformer en ressource pour le pays. Et pourquoi pas, s’étendre à l’international.

Rami Sbeih, 33 ans, biochimiste

Rami Sbeih, biochemist, co-founder of Plastc Lab

« En 2019, un ami belge m’a parlé pour la première fois de Precious Plastic, une organisation qui milite pour le recyclage du plastique à travers le monde. En tant que biochimiste, j’ai un attrait pour les matériaux mais j’ignorais quasiment tout du recyclage du plastique. J’ai tout de suite adoré l’idée de considérer les déchets comme une ressource précieuse. C’est un changement de paradigme énorme, ça m’a vraiment impressionné. Pendant un an, j’ai écumé le web à la recherche d’informations, j’ai regardé des centaines d’heures de vidéo, c’était comme un nouveau monde qui s’ouvrait à moi. J’ai ensuite participé à un workshop en Hollande avec l’équipe de Precious Plastic. Je me suis aperçu qu’au-delà de leur initiative, il y a un mouvement mondial autour du recyclage. ça nous a vraiment décidé à nous lancer avec Ralph. 

Au Liban, depuis 2015, on parle beaucoup de recyclage, de collecte de plastique, de gestion des déchets, mais ce ne sont que des mots. Ce pays n’a jamais mis en place la moindre initiative durable pour affronter ce problème. Les déchets finissent immanquablement dans des terrains vagues ou à la mer, c’est révoltant. On a lancé Plastc Lab il y a un an, et on s’aperçoit qu’on a vraiment une chance unique de faire bouger les choses dans notre pays. C’est tellement excitant!

Comme chacun de nos projets précédents, Plastic Lab est né dans notre maison de famille, à la montagne. Je vous laisse imaginer la réaction de nos parents lorsqu’ils ont vu la quantité de plastique qui s’entassait dans le jardin…Heureusement pour eux, depuis le début du mois de mai, nous nous sommes installés dans un grand entrepôt de 1500 m2, à Halat. Le plus surprenant pour nous, ça a été de constater que ceux qui nous ramènent le plus de plastique sont les amis de nos parents. Alors qu’on aurait pensé que seule la jeune génération s’intéresse au recyclage. C’est très encourageant pour notre projet, c’est un signe que les mentalités changent.

La rencontre avec Berytech et OMDI, qui soutiennent notre projet, a été déterminante. Ils nous ont fait réaliser que Plastc Lab a un potentiel énorme au Liban au niveau économique, spécialement en temps de forte dévaluation, où le plastique va se révéler être une ressource abordable quand le verre ou le bois sont de plus en plus inaccessibles. 

OMDI crée aussi une synergie avec les autres organisations qui ont été primées, ce qui nous renforce dans notre démarche. On est les premiers surpris de se retrouver en pleine crise économique avec un projet exaltant, à rouvrir des comptes en banque.

Nos amis nous traitent de fous, la plupart d’entre eux ont quitté le Liban depuis le début de la crise. Nous voulons croire qu’il est encore possible de développer un business ici. L’entreprise n’en est qu’à ses débuts, mais nous avons de l’ambition. D’ici six mois nous serons en mesure de traiter dix tonnes de plastique par mois, une quantité qui augmentera rapidement au fur et à mesure que nous mettrons à jour nos machines.

Nous allons commencer par employer 5 à 6 salariés. Nous allons développer des partenariats avec des designers, des architectes d’intérieur, qui pourront directement utiliser notre plastique recyclé à 100% pour le transformer en chaise, table, ou n’importe quels objets. 

Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec la startup libanaise Modeo System qui propose via son application de créer des meubles et de les livrer en kit, sur le même modèle qu’IKEA. Ils sont très intéressés par les possibilités du plastique, car il est devenu impossible de trouver ne serait-ce que du bois à un bon prix aujourd’hui. Ils travaillent aussi à la reconstruction d’habitations après l’explosion. Là aussi le plastique pourrait être utilisé. 

Enfin, la production n’occupera qu’un tiers de notre hangar à Halat. Le reste sera dévolu à des espaces de workshops, de sensibilisation au problème des déchets plastiques auprès du grand public. Le Liban sera notre projet pilote, mais on ambitionne de se développer à l’étranger, dans le Golf ou en Europe d’ici trois ans. »

Ralph Sbeih, 31 ans, ingénieur civil

Ralph Sbeih, Civil engineer, Co-founder of Plastc Lab

« C’est le quatrième projet que l’on mène tous les deux, entre frères. À l’âge de 20 ans, Rami en avait 22, on a lancé notre premier pub à Jounieh qui a duré 4 ans, puis on a monté une petite boite de nuit, deux terrains de football et même..un kiosque à frites!  On a fait des erreurs, mais toutes ces expériences nous ont appris à travailler ensemble, on est très complémentaires. Alors quand Rami un beau jour est revenu à la maison avec un projet de recyclage du plastique, je l’ai écouté. 

Au début j’étais un peu sceptique, le Liban avait déjà commencé à s’enfoncer dans la crise, ça ne paraissait pas le meilleur moment pour se lancer. En se renseignant sur le sujet, on s’est aperçu qu’il y a au contraire un vide à combler. 

A titre personnel, je suis ingénieur civil de formation, mais depuis l’an passé j’étudie le développement durable. Il y a beaucoup d’organisations qui travaillent sur la collecte des déchets, mais quasiment aucune qui est spécialisée dans le recyclage du plastique. Ils se contentent de le revendre à des compagnies étrangères. Nous voulons mettre en place un cercle vertueux dans lequel le plastique est collecté, recyclé, puis réutilisé au Liban.

Nous travaillons notamment sur des plaques de plastique de 2m sur 1m qui seront utilisées dans le secteur de la construction en remplacement des plaques de bois qui servent de cadre dans lequel on coule le ciment. Cette alternative présente le double avantage d’être réutilisable et d’être moins chère. On donnera aussi la possibilité au constructeur de nous rendre les plaques après usage, que nous recyclerons à nouveau, contre un prix discount lors du prochain achat.

La gestion des déchets est l’un des symboles de la corruption au Liban. Elle s’incarne à travers les partenariats avec des sociétés privées chargées de récupérer les déchets et dont on a pu constater l’incurie dès la crise des déchets de 2015. 

Cette crise a été une prise de conscience pour nous. Hélas, nous pensons que cela se produira à nouveau. Si c’est le cas, on espère être prêt en tant qu’entreprise pour jouer un rôle dans le rapport de force entre le pouvoir et la société civile.

À travers Plastc Lab, on veut montrer qu’il est possible de prendre le contre-pied d’un système corrompu, de remplir un espace laissé vacant par le pouvoir pour en faire un business profitable. 20 % des déchets du pays sont du plastique et rien n’est fait pour les recycler. On discute beaucoup avec différentes municipalités du Kesrouan. Elles sont toutes très intéressées par le projet, mais pour l’instant le business modèle n’est pas fixé. Les villes sont contractuellement dans l’obligation de travailler avec des entreprises comme Ramco pour gérer leurs déchets, donc on cherche un moyen légal pour travailler avec elles sans passer par les processus habituels.»

Omdi est un programme financé par l’Institut Français du Liban et l’Ambassade de France, en partenariat avec l’incubateur makesense, qui soutient 15 projets portés par des jeunes au Liban, visant à résoudre une problématique sociale et environnementale locale.

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