Youth Against Corruption est une initiative qui vise à sensibiliser les jeunes libanais au problème de la corruption en mêlant supports éducatifs, innovation et esprit d’entreprise. A l’heure où de nombreux jeunes quittent le pays en quête d’un avenir meilleur, YAC souhaite leur donner espoir en leur capacité à faire bouger les lignes.

Serena Ibrahim, 29 ans, fondatrice de Yac, architecte et consultante en management

Serena Ibrahim, fondatrice de Youth Against Corruption

« La crise des déchets, en 2015 a été un point de rupture pour moi. À cette époque, l’étendue de la corruption dans le secteur de la gestion des déchets a sauté aux yeux de tout le monde. 

À l’issue d’une manifestation, j’ai pris conscience qu’on ne pouvait plus vivre comme ça, qu’il était temps de faire quelque chose pour entretenir l’espoir d’un futur meilleur au Liban. Cette année-là, j’ai perdu dix de mes amis les plus proches. La majeure partie d’entre eux ont quitté le pays parce qu’ils n’avaient plus d’espoir. Je me suis promis de ne pas perdre espoir. Si même les jeunes arrêtent de rêver, de penser qu’un avenir meilleur est possible, alors tout est fini. 

J’étais architecte à cette époque et j’ai complètement réorienté ma carrière pour faire des études sur le développement durable. J’ai étudié à l’étranger (France, Italie, Brésil), et j’ai choisi de faire mon mémoire de fin d’études sur les moyens innovants pour combattre la corruption, fruit de différentes rencontres, des gens qui m’ont ouvert les yeux, en pensant en dehors des sentiers battus.
Je suis rentré à Beyrouth avec mes 150 pages de thèse de fin d’études et j’ai commencé à rencontrer des jeunes de tout horizon, à discuter des solutions. Il y a tout de suite eu un enthousiasme contagieux, c’est comme ça qu’est né Youth Against Corruption fin 2018.

Avec YAC, nous offrons une plateforme aux jeunes Libanais pour leur montrer que leur voix compte, qu’ils ont leur avenir entre leurs mains. On veut s’attaquer à la corruption de manière innovante en mobilisant les jeunes talents, quels que soient le parcours et leurs compétences. On mise sur l’intelligence collective et l’approche participative pour créer un réseau durable. Pour l’instant, ça marche au-delà de nos espérances. Nous avons toujours plus de personnes qui nous suivent et qui s’impliquent. Parfois, je reçois des appels de jeunes d’à peine 16 ans qui me demandent “Comment je peux participer?” 

Malgré le fait que chacun de nous à un travail salarié qui prend beaucoup de temps, on arrive à se mobiliser et à avancer, parce que ce projet nous fait vibrer. La phrase qui résume le mieux YAC c’est « ils croyaient que c’était impossible alors ils l’ont fait ». 

En ce moment, nous travaillons sur un projet de « Yacathlon » contre la corruption dans l’administration publique libanaise. Une centaine de jeunes vont se réunir par équipe et développer des moyens innovants pour lutter contre ce type de corruption. Un jury d’experts identifiera quatre projets lauréats qui auront la chance d’être développés au sein d’incubateurs au Liban.

Notre deuxième grand projet, c’est « Facade Lebanon », un programme de cours en ligne plurimédia sur la corruption au Liban, dans le secteur de l’eau, du gaz ou de la justice. C’est très ambitieux parce que le sujet de la corruption est très complexe, et on fait en sorte qu’il soit accessible à des adolescents tout en étant dispensé par des professeurs qui s’adressent d’habitude à des niveaux bac +5. Notre but, c’est que ce cours soit ensuite intégré dans le curriculum des universités libanaises. 

Quand on a entendu parler de Omdi,  un programme d’aide de l’incubateur makesense avec l’institut français et l’ambassade de France, on s’est dit « pourquoi pas ? »
Nous avons beaucoup travaillé avec makesense auparavant, on aime beaucoup leur esprit et on partage les mêmes valeurs, la même ambition. On était sûr d’apprendre beaucoup de leur expérience pour mieux nous développer. 

Sur le long terme, notre objectif est que Yac devienne une plateforme de mobilisation de la jeunesse à l’international. Car la corruption ne touche pas seulement le Liban.”

Omdi est un programme financé par l’Institut Français du Liban et l’Ambassade de France, en partenariat avec l’incubateur Makesense, qui soutient 15 projets portés par des jeunes au Liban, visant à résoudre une problématique sociale et environnementale locale.

Comment lutter contre la corruption? 

“La lutte contre la corruption est un processus difficile à mener au niveau individuel. Il faut commencer petit, en ayant conscience que l’on ne change pas un pays en un jour.

Il faut rester fidèle a ses principes, par exemple en refusant le piston, en ne tirant pas avantage de sa position privilégiée.

Cette attitude individuelle doit s’accompagner d’un changement structurel, au niveau national. Ça commence par un système judiciaire indépendant qui fasse assumer ses responsabilités aux décideurs; ainsi qu’un système scolaire qui permette de sensibiliser les jeunes à la corruption. Il faut aussi mettre en place une instance publique qui agisse de façon transparente sur toutes les questions budgétaires, les emplois publics, l’obtention des contrats publics et qui protège les lanceurs d’alerte, car c’est toujours une prise de risque au Liban. Il faut que la loi, l’intégrité et la transparence deviennent les valeurs centrales des institutions publiques.” 

Walid et Christina ont rejoint YAC depuis le début. Ils font partie de la ‘core team’ de 25 personnes qui pilote le projet.  
Ils racontent pourquoi ils ont choisi de lutter contre la corruption. 

Walid Baroud, 28 ans, ingénieur dans l’automobile, équipe de coordination de YAC

Walid Baroud, membre de l'équipe de coordination de Youth Against Corruption

« J’ai un souvenir assez précis de la première fois que j’ai vraiment compris ce qu’est la corruption. C’était au collège, le jour du brevet. Avant de partir à l’examen, mon père m’a dit sur le seuil de la maison : « c’est la première fois que tu vas être confronté au gouvernement libanais ». 

Le brevet est un examen difficile, tu travailles dur pendant un an, c’est quelque chose d’important. Mais quand tu arrives à l’examen, c’est absurde. Tout le monde triche, les surveillants détournent le regard, il y a des gens qui sont payés pour passer l’examen à la place d’un autre élève. C’est complètement fou. C’est une situation que tous les Libanais connaissent.
C’est pour ça que j’ai rejoint YAC. Car c’est par la jeunesse que l’on arrivera à changer quelque chose.

Personnellement, j’ai quitté le Liban il y a cinq ans maintenant. Pour des raisons de travail, mais aussi parce que je n’avais plus la foi dans ce pays. J’ai un groupe Whatsapp avec d’anciens camarades de classe. Sur les 16 membres du groupe, il n’en restait plus qu’un au Liban à la fin 2019. 

D’une certaine façon, YAC me réconcilie avec mon pays. Sa principale force c’est de pouvoir agréger des envies au-delà des frontières libanaises. Depuis la France où je travaille, je peux contribuer à YAC autant que depuis Beyrouth. Notre structure est complètement différente des grosses entreprises à la structure figée et pyramidale, comme celle pour laquelle je travaille. Du coup on apprend ensemble, on évolue ensemble, on n’a pas de hiérarchie. Tu n’as jamais l’impression de changer le monde quand tu travailles dans une grande entreprise, avec YAC par contre, oui. »

Christina Elias, 26 ans, économiste, équipe de coordination de  YAC

Christina Elias, membre de l'équipe de coordination de Youth Against Corruption

« D’où me vient cette urgence de me battre contre la corruption ? Je pense que ça a commencé lorsque j’étudiais les sciences économiques, à l’université.
Lors d’un cours, nous débattions des différentes réformes économiques à appliquer au Liban pour endiguer ce fléau et notre professeur nous avait fait une remarque qui m’est restée depuis : « la politique et l’économie sont les deux faces d’une même pièce ».
On a beau réfléchir à tous les moyens d’assainir les finances, de repenser le budget, si l’on a affaire à une classe politique corrompue, tous ces efforts sont vains.

C’est ce qui  motive mon engagement aujourd’hui. J’ai rejoint YAC après mon master en développement au Royaume-Uni, j’avais envie de participer au changement dans mon pays. YAC m’a permis de réaliser que même moi, avec mes limites, j’étais capable de me battre à mon niveau pour aider à améliorer la situation de mon pays. J’ai pris de plus en plus de responsabilités au sein de l’organisation pour finalement rejoindre l’équipe de coordination.

Aujourd’hui nous avons environ 850 « Yactivist », des jeunes qui se mobilisent, entre 18 et 34 ans. Nous avons autant de filles que de garçons. C’est incroyable de voir la communauté grandir, ça donne de la force.  »