Rida Mawla, 34 ans, est le cofondateur de Beit-Beit, une initiative qui répare les maisons détruites par l’explosion du port de  Beirut le 4 août dernier

« Le jour de l’explosion j’étais à Batroun. On n’a rien senti, je ne me suis pas rendu compte de l’ampleur de la situation. Mais quand je suis rentré à Beyrouth, je me suis dis “Merde!”.

Des amis ont du reconstruire leurs maisons détruites par l’explosion. L’un d’entre eux, Mohamad, est ingénieur. On s’est dit qu’on pouvait profiter de l’expertise de notre groupe d’amis pour réparer d’autres maisons. On a fait appel à d’autres ingénieurs pour aider Mohamad; Rayan, Ramzi et moi avons pris en charge la collecte de fonds, la comptabilité, et les finances. Rana et Caroline se sont occupé de la communication. 

C’est ainsi qu’on a fondé Beit-Beit, une initiative qui a pour but de réparer les maisons détruites. 

On a lancé une campagne Go Fund Me, mais on a d’abord testé le modèle en finançant le projet par nos propres moyens. Il y avait déjà beaucoup de volontaires à Mar Mikhael et Gemmayzeh, on a alors essayé de centrer notre travail sur la périphérie, à  Zkak El Blat, Karantina, Geitawi, où les volontaires étaient moins nombreux.

Aussitôt qu’on entre dans une maison, on peut savoir si cette personne ou famille a les moyens de réparer la maison ou non, et on se concentre sur ceux qui n’ont vraiment pas les moyens de le faire. Ça ne veut pas dire qu’on n’aide pas les autres, après tout eux aussi sont victimes de l’explosion, mais dans ce cas là, notre contribution financière est moindre 

La façon dont ça se passe est la suivante: nos ingénieurs visitent les lieux, évaluent les dégâts et établissent un devis. Puis, on embauche un entrepreneur qui se charge de tout réparer. On a une liste d’entrepreneurs qui ont tout le matériel nécessaire et qui nous facturent uniquement le prix des matériaux. 

On a levé $40,000 sur Go Fund Me, et on a reçu beaucoup de donations en dollars ou en chèques en lollars au Liban quand les gens ont vu ce qu’on faisait à travers Beit-Beit. Maintenant, je pense qu’on en est à $60,000 et LBP 60 millions au total. En moyenne,  les coûts de réparation d’une maison s’élèvent à $1,200. 

On est tous volontaires. On a visité 89 maisons, et on en a reparé 52. On va s’arrêter là. Deux des cofondateurs quittent le Liban, et ceux qui restent  travaillent aussi en parallèle.

Je pense que les gens font le deuil de différentes façons, et co-fonder Beit-Beit m’a au moins donner la chance d’agir à un niveau personnel. 

Je sais que la réaction de quelques-uns après l’explosion a été d’en avoir  marre du Liban, de vouloir partir tout de suite. Avec Beit-Beit, j’ai senti qu’il y avait toujours quelque chose que je pouvais faire, même si je crois que tout ce qu’on fait maintenant est infime, il y a tellement à faire!  

Professionnellement, j’ai travaillé dans la finance, et en tant que consultant, avec un focus sur les startups ces dernières années. 

En parallèle, j’ai toujours aimé la politique et je suis activiste depuis l’école. En 2012, j’ai fait partie du mouvement “take back the parliament” (reprendre le parlement), et en 2015, j’ai milité pendant la crise des déchets. J’ai aussi fait partie de ceux qui ont fondé “Beirut Madinati”, et puis pendant les élections parlementaires, je faisais partie de “Kelna Beirut”. 

Je ne suis pas contre le fait de quitter le Liban, mais je ne cherche pas absolument à le faire. Je suis chanceux de toujours avoir mes projets. Si j’étais au chômage, j’aurais peut-être pensé différemment. 

J’ai vécu à l’étranger pendant longtemps; l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Chaque pays a ses propres problèmes. J’ai vécu sept ans aux Etats-Unis. Je m’y suis éclaté, j’ai appris pleins de choses, et j’ai beaucoup grandi, mais j’ai toujours voulu revenir au Liban. J’ai  un sentiment d’appartenance ici que je n’ai pas aux Etats-Unis. 

Sur le plan politique, je pense qu’on est dans une sale situation. On passe par des jours noirs, et je sens que cette période va être longue. Mais quand je vois des initiatives  comme la nôtre, ça me redonne espoir. C’est très intéressant de voir une sorte d’économie parallèle émerger . Elle pourra nous servir de base pour le futur. 

Le changement prend du temps. Je compare toujours les révolutions aux crises de panique: elles sont un signe qu’il est temps de changer des choses dans sa vie. Après, il faut changer les choses, petit à petit. Toute seule, la révolution n’est qu’un moment de colère dans lequel vous sentez qu’il doit y avoir un changement; du moins c’est comme ça que je vois les choses.

Sur le long terme, dans dix ans par exemple, j’ose espérer. 

Au niveau personnel, j’oscille entre les extrêmes. Parfois, je crois beaucoup en mon pays. On est passé par beaucoup de choses, et on s’est remis sur pied; j’y crois vraiment. Mais d’autres fois, je me sens impuissant. J’oscille tout le temps entre colère et espoir.  »

Texte: Dima Rahhal
Traduction: Nour Chidiac
Photo : Rida Mawla