Par Dr. Hala Kerbage, psychiatre et chercheuse,
Hôtel-Dieu de France – Université Saint-Joseph

La terrible tragédie qui a frappé Beyrouth le 4 août 2020 a causé la mort de 200 personnes, en a blessé  plus de 7 000, a détruit des quartiers historiques, et a privé 300,000 personnes de domicile. C’est donc  normal d’être en colère, triste et choqué. Le contraire aurait été étonnant. On pleure nos proches, notre ville, nos quartiers, et c’est essentiel de traverser cette période de deuil pour guérir en tant qu’individus et communautés. 

Les quelques premiers jours, semaines, ou mois même, après un événement traumatique de cette ampleur, il est normal de vivre quelques unes des manifestations suivantes : 

  • Troubles du sommeil et cauchemars.
  • Se sentir tendu, irrité et en colère. 
  • Une hypersensibilité au bruit.
  • Des flashbacks des événements traumatiques. 
  • Le besoin de répéter encore et encore les évènements en les racontant, de regarder les vidéos de l’explosion etc… ou au contraire, d’éviter d’aborder le sujet ou d’en en parler. 
  • Des symptômes physiques comme des maux de tête, des problèmes digestifs, et des douleurs diffuses.
  • Se sentir coupable parce qu’on a survécu, qu’on n’était pas là, ou qu’on n’a pas pu sauver les autres. 
  • Des crises d’angoisses (crises d’anxiété soudaines suivies de symptômes physiques similaires à des palpitations et des douleurs dans la poitrine).
  • Parfois, sentir pendant quelques secondes ou minutes que tout ce qui nous entoure n’existe pas.
  • Des troubles de la concentration et de la mémoire.

Ces symptômes permettent à votre corps et à votre esprit d’assimiler l’événement traumatique, et en général ils diminuent puis disparaissent avec le temps. 

Entre-temps, rappelez-vous des points suivants: 

Vous êtes en période de deuil, ce que vous ressentez est normal et attendu. 

-Vous êtes en train d’assimiler un événement traumatique; il vaut mieux prendre le temps de l’assimiler plutôt que de le nier ou de le réprimer complètement. 

– Vu que c’est un désastre collectif, en renforçant le soutien communautaire, les liens sociaux, la solidarité, et en vous engageant dans des actions humanitaires (seulement si vous en sentez capables), vous pourrez peut-être soulager votre douleur et retrouver un sens et un but à la vie. 

-N’essayez pas de réprimer vos sentiments, mais essayez plutôt de pleurer et d’en en parler avec vos proches si vous vous en sentez capables. 

-Acceptez que vous ne serez pas le/la même pendant quelques semaines, et ne vous pliez surtout pas aux pressions de la société pour vous remettre sur pied le plus tôt possible si vous ne vous sentez pas prêts. 

-Prenez le temps qu’il faut pour guérir et acceptez les changements dans votre routine. 

-Évitez d’abuser de l’alcool et de la drogue puisqu’ils peuvent aggraver quelques manifestations du trauma. 

– Ce qui s’est passé est tragique et anormal, vos réactions sont tout à fait normales et justifiées. 

Quand faut-il voir un professionnel?  

Dr. Hala Kerbage
  • Si vous vous sentez vraiment seuls, et que vous avez besoin de parler avec quelqu’un à n’importe quel moment.
  • Si vous avez des idées suicidaires et des impulsions d’automutilation.
  • Si vous avez des crises d’angoisse permanentes et écrasantes. 
  • Si vous souffrez d’une insomnie sévère.
  • Si vous vous sentez incapables de communiquer et de répondre aux demandes de vos proches. 
  • Si vous avez une condition de santé mentale préexistante, et que vous pensez avoir des symptômes d’une rechute.
  • Si vous pensez simplement en avoir besoin. 

Contactez Embrace lifeline for emotional support au 1564. Ils peuvent vous offrir un support émotionnel et vous référer si nécessaire à des services de santé mentale appropriés et gratuits. Vous pouvez aussi consulter la page Facebook “National Mental Health Program” (Programme National de Santé Mentale) (https://www.facebook.com/nmhplebanon/) pour plus d’informations et pour vous sensibiliser en matière de santé mentale. 

L’importance de la justice sociale durant la guérison communautaire

  • La définition de la santé mentale n’est pas l’absence de symptômes, c’est la capacité de vivre une vie satisfaisante dans un environnement sain qui offre des opportunités adéquates pour les personnes et les communautés. 
  • Sur le long terme, la guérison collective est liée à une justice politique, en tenant la classe politique actuelle responsable, et en assurant une compensation financière et morale aux victimes. 
  • Les interventions cliniques de santé mentale aident à soulager vos symptômes si nécessaire; mais une action collective est aussi nécessaire sur le long terme pour nous procurer à tous de la dignité, de la justice et la restauration de nos droits les plus basiques.

Traduction: Nour Chidiac