Souad Abdallah, a 40 ans, elle est la fondatrice de Kon, un mouvement de solidarité sociale basée sur l’agriculture.

“De ma vie, je n’ai ressenti un sentiment aussi beau que celui d’être dans la rue au début des manifestations d’octobre 2019.

Depuis mon retour au Liban en 2015, je me sentais mal à l’aise et je voulais repartir. Je voulais améliorer le pays pour pouvoir mieux y vivre.  Je voulais obtenir nos droits civils les plus basiques, comme les droits à l’éducation ou aux soins de santé, le minimum pour avoir une vie décente. 

Avec les manifestations, j’ai senti que la ville m’appartenait et que j’en faisais partie; je n’étais plus seule parce que j’étais entourée par mes compatriotes. 

Mais avec le temps, je suis devenue physiquement fatiguée (j’ai une petite fille), et je ne pouvais plus tolérer la violence et la détérioration économique qui se produisaient. Je ne comprenais pas pourquoi il n’y avait pas plus de gens qui  manifestaient contre une “sulta” tellement répressive. 

Je me suis demandée ce que je pouvais faire. Je voulais quelque chose dont le pays a vraiment besoin, qui s’adaptait à mon style de vie, et qui était durable. En 2018-2019, ma fille et moi avons vécu dans mon village au Akkar, et j’y avais planté notre terrain. L’agriculture m’intéresse depuis toujours, et j’ai pu voir ses bienfaits sur mon propre bien-être. J’en ai parlé avec deux amis, et l’idée d’une initiative liée à l’agriculture durable et à la nourriture est née. Dans ce secteur, on a tendance à aller vers la production rapide sans respecter le rythme de la nature ou l’environnement. J’étais plus convaincue par la permaculture qui prend en considération les cycles de la nature et les ressources existantes.

L’idée était de travailler au niveau des quartiers. Le but n’était pas seulement de produire de la nourriture, mais aussi de fournir un support psychologique et une résilience sociale.  À Beyrouth, contrairement aux zones rurales, il n’y a pas de sens de la communauté, mais c’est un quelque chose qu’on peut développer quand on se met à plusieurs pour travailler sur le même projet.

On a commencé doucement en nous réunissant quelques fois dans notre quartier à Furn al Shebbak, puis “Madame Corona” est arrivée. Le confinement s’est avéré être une période calme et fructueuse pendant laquelle je travaillais toute seule en plantant des semences traditionnelles sur mon toit. Plus tard, mes voisins m’ont rejoint et on a planté ensemble. J’étais ravie de voir que de nombreuses semences qu’on avait planté avaient grandi, et on a pu en distribuer aux voisins. On a essayé de ne pas acheter trop de  matériel parce que nos finances étaient précaires… 

Petit à petit Kon a grandi au-delà de notre communauté de Furn al Shebbak : des personnes ont suivi nos ateliers, ou nous ont aidé  d’une façon ou d’une autre.

La pratique de l’agriculture en tant que telle est très apaisante à la fois physiquement et mentalement. Planter, toucher la terre, arroser, et voir les petites graines se transformer en une plante.. c’est miraculeux. Tu commences à apprécier la générosité de la nature. Les plus petites choses te rendent heureux, comme un pulvérisateur d’eau parce qu’il pulvérise de l’eau automatiquement!

Et puis tu ralentis ton rythme et réévalues notre monde contemporain. Le rythme de l’humanité a changé depuis l’ère industrielle. On a oublié les saisons, on mange du persil en hiver, par exemple ! Avec l’agriculture, tu recrées un équilibre. 

Travailler en groupe est très agréable aussi, tu travailles dans un environnement où l’argent n’existe pas, où tout est basé sur le partage. Tu partages des services et du savoir.

Avec les gens du groupe, nous sommes tous devenus plus proches, et nos relations sont devenues plus intimes et profondes. Lorsqu’on demande “keefak?”,  on demande vraiment “keefak?” ! On veut vraiment savoir comment l’autre se porte. 

Voilà comment naît la résilience. Ca donne un support psychologique pour faire face à la situation stressante dans laquelle on vit  aujourd’hui.”


Souad Abdallah, a 40 ans, elle est la fondatrice de Kon, un mouvement de solidarité sociale  basée sur l’agriculture. Par le biais de Kon, et en partenariat avec l’ONG “Syrian Eyes”, Souad produit aussi du savon en utilisant des ingrédients locaux pour les distribuer aux réfugiés. Souad espère que d’autres quartiers du Grand Beyrouth s’inspireront de Kon.

Texte: Dima Rahhal
Traduction: Nour Chidiac