Toute sa vie, Aïda Soufi, 53 ans, a rêvé de percer les mystères de la Citadelle de Tripoli. Quelle est son histoire ? Que renferme-t-elle ? Elle a passé 20 ans à essayer de trouver des réponses à ses questions pour essayer de constituer un dossier, sorte de guide touristique à l’intention des professeurs et élèves. Professeure assistante au département d’Éducation de l’Université de Balamand, elle a  remporté l’appel d’offre sur un projet de patrimoine de l’AUF en mars 2018. Aujourd’hui elle a non seulement pu finaliser ce dossier mais aussi former 12 enseignants de Tripoli et du Akkar à comment faire visiter les lieux de patrimoine, comme la Citadelle de Tripoli, à leurs élèves. Son rêve est que la nouvelle génération de Libanais prenne conscience de la valeur de ces sites, pour plus tard les protéger.

Voici son histoire.

Cet article est sponsorisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie

“Mon obsession pour la citadelle de Tripoli a débuté quand j’étais toute petite. Ma grand-mère habitait Abou Samra, une colline qui donne directement sur la citadelle Saint Gilles (l’autre nom de la Citadelle de Tripoli). A chaque fois qu’on allait chez téta, j’admirais ce bâtiment imposant, majestueux et j’imaginais ce qui pouvait bien s’y passer. J’étais fascinée. Quelle était son histoire ? Qu’est-ce qu’elle pouvait bien renfermer?

Quand je posais la question aux adultes, personne n’y avait jamais mis les pieds ! Ma mère est née et a vécu à Tripoli et pourtant elle n’a visité la citadelle qu’à l’âge de 70 ans, quand je l’y ai emmenée.

Toute mon enfance à Tripoli, j’entendais des légendes sur ce qu’il pouvait bien y avoir à l’intérieur. Mon oncle par exemple me racontait qu’il y avait un grand serpent qui dormait toute l’année et qui se réveillait juste au printemps pour aller boire l’eau du fleuve Abou Ali et ensuite se rendormir.  

Je rêvais de connaître l’origine de la citadelle, son passé véritable mais à l’école on ne nous enseignait pas l’histoire du Liban.

Plus tard pendant la guerre, on entendait des histoires de torture et de prisonniers, mais on ne savait jamais vraiment ce qui s’y passait : elle était fermée au public.

C’était tellement frustrant de vivre et grandir près de la Citadelle, sans jamais pouvoir y pénétrer ! Je rêvais de pouvoir la visiter de mes propres yeux.

Et puis un jour de 1994, j’ai entendu dire que la citadelle était enfin rouverte au public. Je devais avoir 25 ans. A l’époque j’enseignais le français et la civilisation à des classes de sixième. Dès que j’ai appris la nouvelle, j’ai filé à la citadelle pour pouvoir enfin réaliser mon rêve !

Quand je suis arrivée sur place, c’était magique, je pouvais la voir, la toucher. L’armée syrienne venait de quitter les lieux. L’espace était laissé pour compte : il y avait de l’herbe partout, des tags, on pouvait y circuler librement.

J’avais beaucoup lu sur l’architecture des citadelles et je voyais bien les éléments intéressants, mais à l’époque je ne savais pas à quoi ils correspondaient. Je ne réalisais pas que je passais devant la construction la plus ancienne de la citadelle, ni quelle était son histoire, je ne savais pas que je passais devant les vestiges d’une église des Croisés. Tout ce que je voyais c’étaient des colonnes, des vestiges et j’étais frustrée de ne pas être capable de connaître leur histoire.

J’ai alors commencé à faire des recherches toute seule.  C’était très dur car il n’y avait pas encore internet et très peu de livres sur le sujet. Tout ce que je trouvais je le gardais : les articles de presse, les dépliants du ministère du tourisme…tout.

C’est en 1999, quand je suis tombée sur la thèse de Hassan Salamé Sarkis, que j’ai enfin pu reconstituer le plan de la citadelle. J’ai multiplié les visites pour faire les liens entre ce que je lisais et ce que je voyais. J’ai commencé à constituer un dossier, sorte de guide historique et touristique sur la Citadelle de Tripoli. J’y emmenais mes élèves et leur faisait découvrir les lieux en me basant sur mes recherches.

Mon rêve était de constituer la brochure la plus complète possible pour permettre de faire visiter la Citadelle aux élèves. Je voulais qu’ils partagent avec moi cette passion, qu’ils retiennent les éléments d’histoire.

Une amie m’a un jour parlé des “classes patrimoine et dossier pédagogique” qui existent dans les écoles françaises pour faire visiter les lieux historiques de manière didactique aux élèves.

A partir de là, je m’en suis inspirée pour essayer de développer mon dossier pédagogique. Pendant près de 20 ans, j’ai essayé de finaliser ma brochure et la faire adopter par d’autres professeurs.

Ce n’est que l’année dernière que mon rêve a pu se concrétiser, quand je suis tombée sur un appel d’offre de l’Agence universitaire de la Francophonie : il fallait proposer un projet pédagogique sur le patrimoine.

Quand le projet a été approuvé en mars 2018, je n’en revenais pas !! J’étais si heureuse. Après 20 ans de recherche j’allais enfin pouvoir concrétiser ma brochure et rallier d’autres professeurs à ma cause.

Grâce au financement de l’AUF, j’ai pu former à l’automne dernier 12 professeurs de Tripoli et du Akkar sur comment réaliser une visite pédagogique d’un site culturel ; et j’ai pu finaliser ma brochure sur la citadelle de Tripoli, elle est actuellement sous presse.

Ce que j’espère c’est que ces professeurs feront visiter la citadelle à leurs élèves en réussissant à leur transmettre toute la valeur qu’elle a.

C’est important car il s’agit de sauvegarder le patrimoine de notre ville qui est menacé. Les Hammams de la ville sont déjà très dégradés. Pour la citadelle, j’ai toujours peur qu’un jour quelqu’un décide d’y construire un hôtel, un restaurant ou encore un théâtre qui sait ?

Mais si on arrive à transmettre cette passion aux élèves, si les enfants découvrent la citadelle et prennent conscience de sa valeur, s’ils comprennent que ce ne sont pas que des pierres mais un témoin de l’histoire de notre ville qui s’étend sur dix siècles, peut-être qu’adultes ils n’auront pas envie de créer ces projets qui la détruisent. Tout commence par l’éducation et pour cela, je souhaite remercier énormément l’AUF.

Grâce à l’AUF, j’espère donner aux enfants libanais la possibilité de découvrir et comprendre l’histoire de leur ville, pour que la nouvelle génération connaisse d’où elle vienne. N’importe quel site touristique au Liban mérite d’avoir sa brochure pédagogique.

La citadelle de Tripoli est la plus grande du pays et la mieux conservée. Elle a un cachet incroyable et abrite des vestiges qui datent d’avant-même le début de sa construction ! Les Mamelouks et les Ottomans y ont ensuite apporté leur touche. Elle retrace l’histoire de la ville de Tripoli, Il est temps que les Libanais la visitent, qu’ils connaissent leur propre histoire.”

Pour l’AUF, la protection du patrimoine est une priorité au Liban mais aussi dans tout le Moyen-Orient, car il s’agit d’un puissant facteur de développement des sociétés. L’appel d’offre qu’a remporté Aïda est renouvelé chaque année et concerne tous les établissements membres de l’AUF dans la région.