Nour*, 26 ans, est très fière d’avoir gardé sa virginité jusqu’à présent. Ce n’est pas pour la société qu’elle a fait ce choix mais par conviction religieuse. Pendant longtemps, elle pensait que la plupart des Libanaises étaient comme elle. Jusqu’à ce qu’elle commence à travailler et à rencontrer des filles qui parlent ouvertement de leur sexualité avant le mariage. 
Voici son histoire:

“ J’ai été élevée de manière à garder ma fierté, ma virginité. Mes parents m’ont toujours répété de garder la tête haute : d’être une ‘bonne fille’, de préserver la réputation de la famille, notre honneur.

J’ai grandi avec pas mal de règles à suivre. Par exemple, je n’avais pas le droit de porter des vêtements trop échancrés, ni le droit de dormir en dehors de la maison; et hors de question bien sûr d’avoir un petit ami. C’était 3eib ! Même quand je parlais innocemment à un garçon mon père me faisait les gros yeux. 

Malgré ça, je me suis toujours battue pour faire ce que je voulais. Par exemple à l’âge de 14 ans, je m’ennuyais avec mes copines. Je préférais le football et les trucs de mecs. Alors j’ai commencé à traîner avec un groupe de cinq garçons. Mon père n’était pas du tout content. Il me disait “Qu’est-ce que vont dire les gens du village ?”  Je m’en foutais, car je ne faisais rien de mal. J’ai fait en sorte que ma société s’habitue à cette idée. Et ça a marché: quand tu fais quelque chose à répétition devant les gens, même si c’est choquant, ils finissent par s’habituer et passer à autre chose.

Ce n’est donc pas du tout pour la société que j’ai décidé de garder ma virginité. Si c’était pour ça, j’aurais fait ce que je voulais et ensuite je l’aurais caché, comme font plein de filles au Liban. Il y a beaucoup de techniques pour cacher à ton mari que tu as eu des relations avant de l’épouser : se faire opérer, mettre des petites seringues de sang dans le lit, ou même le saoûler le jour de la nuit de noces !

Non moi, je m’en fous de la société, mais j’ai peur de Dieu, même si  je suis assez ouverte d’esprit. Il y a donc certaines limites que je n’oserai jamais franchir comme commettre un meurtre et coucher avant le mariage.

Mon premier petit copain, je l’ai rencontré en dernière année d’université, je devais avoir 23 ans, il s’appelait Ahmad. Il avait les cheveux longs et j’ai toujours eu un faible pour les hommes aux cheveux longs. Il était tout ce que la religion condamnait : il jouait de la batterie, prenait des drogues. La première fois qu’il m’a rencontrée il m’a dit: “Je t’aime”. Je lui ai répondu : “comment peux-tu m’aimer ? On vient de se rencontrer!” Il a dit :” J’ai eu un coup de foudre”. Je lui ai alors dit que tout ce que je pouvais lui offrir c’est mon amitié car je ne fréquente pas de garçons. Et on est resté amis pendant un an.

A ce moment-là on avait des cours obligatoires de philosophie donnés par un professeur druze. Il nous enseignait la religion, les grands philosophes Aristote, Socrate, comment fonctionne une société. Je suis devenue encore plus pratiquante qu’avant. 

Et un jour le prof a parlé du contact physique. Il a dit que c’était préférable de pas toucher les personnes du sexe opposé pour se dire bonjour, que ça pouvait être dangereux. Et j’ai trouvé que ça faisait du sens. J’ai alors décidé d’arrêter de saluer Ahmad, juste lui pas les autres. Car je savais qu’on était attirés l’un par l’autre. Je me suis dit, si je le laisse me toucher peut-être qu’il va ressentir encore plus de choses pour moi? Et je ne voulais pas ça puisse arriver car j’essayais de rester une “ fille de bonne famille”.

Au bout d’un mois il n’en pouvait plus. Il m’a dit :  “S’il te plait, arrête cette torture ! Je veux juste un hug, please un simple hug”. Pour moi à l’époque, un hug c’était quelque chose d’immense, alors je lui ai proposé qu’on se cache dans un jardin de l’université. 

Quand nous nous sommes enlacés, nos coeurs battaient si fort que je pouvais les sentir s’entrechoquer entre nos poitrines, s’attirer comme des magnets.

C’était si intense qu’à ce moment-là je suis tombée amoureuse de lui. Et j’ai décidé que plus jamais je n’appliquerai cette règle de ne pas toucher le sexe opposé. C’était tellement beau que je ne voulais plus en être privée. Quelque mois plus tard, on s’est officiellement mis en couple, après notre premier baiser. On était sur le toit de l’université, il faisait si froid. Il a commencé à m’embrasser sur la joue pour me réchauffer. Ensuite, il s’est approché de mes lèvres. Je l’ai laissé faire. Et il m’a embrassée, un french kiss en plus !

Je trouvais ça magnifique mais en même temps je me sentais tellement coupable !

Pour moi un baiser c’est quelque chose de sexuel. Je lui ai crié “Tu me ruines, je suis une fille bien, je ne fais pas ce genre de choses”. Et lui se sentait hyper mal de me voir comme ça. Il m’aimait et ne voulait pas me faire souffrir, alors il s’excusait. A cette époque je ne savais pas à quel point embrasser son petit ami était important pour être certaine qu’il y a une attirance physique.

Je l’ai su plus tard quand j’ai eu mon troisième petit ami et que je n’aimais pas du tout l’embrasser. Même si je l’adorais, j’ai dû rompre avec lui car à chaque fois qu’il s’approchait de moi je n’avais pas envie de l’embrasser, ça me dégoûtait.

Alors parfois j’ai un peu peur de l’idée que peut-être c’est pareil avec le sexe, peut-être qu’il faut essayer pour savoir si on est compatible ? Et que pourrais-je bien faire si je découvre une fois mariée que je déteste faire l’amour avec mon mari ?

Il y a d’autres choses aussi qui me font peur dans le fait d’attendre d’être mariée pour avoir une relation sexuelle. J’ai par exemple un ami qui est fiancé et qui me raconte comment il couche avec d’autres filles en attendant le mariage. Il ne considère pas cela comme tromper car ils ne sont pas encore mariés et il a des “besoins physiques”. Pourtant sa fiancée n’est pas au courant; ce n’est pas cela tromper? Quand il m’a raconté ça je me suis sentie tellement en colère. Et j’ai eu peur aussi j’ai repensé à mes anciens petits amis que j’aimais et avec qui on n’a jamais franchi les limites. Est-ce que eux aussi ont été voir ailleurs? 

Malgré tout ça je continue à penser qu’il faut attendre le mariage. Pendant longtemps, j’ai pensé que la plupart des Libanais étaient comme moi. A l’université par exemple, même si on ne parlait jamais de sexe, pour moi c’était évident que mes copines étaient comme moi. Mais quand j’ai commencé à travailler, j’ai rencontré d’autres personnes qui parlaient de sexualité ouvertement. Au début, j’étais choquée et puis après je me suis habituée, on s’habitue à tout. Je me suis rendue compte qu’en fait tout le monde le fait ! C’est presque moi qui ne suis  pas normale. 

En tous cas j’ai attendu toutes ces années, je peux encore attendre un peu non? Je vis dans une société très conservatrice où depuis notre enfance, on nous répète que la virginité c’est  primordial chez une fille. Rares sont les personnes de ma société à pouvoir passer outre ce critère. Je pense aussi que coucher avec un homme est quelque chose qui peut nous marquer à vie, c’est pourquoi je préfère le faire avec mon mari car je serai certaine qu’il ne pourra pas me faire du mal.”

Cet article fait partie de notre enquête sur la sexualité des Libanais, #LFonsexuality

Reportage et écriture: Soraya Hamdan
llustration: Eva Besse/ photo de Max Rovensky/Unsplash
Edition: MJ Daoud