“Je suis né et j’ai grandi en Côte d’Ivoire. J’y ai vécu trois guerres civiles. Je me rappelle d’un jour où ma famille et moi avons été évacués par un tank français. J’ai croisé le regard d’une jeune ivoirienne qui avait mon âge. Elle était entourée de cadavres. Son regard sera à jamais gravé dans mon âme. J’ai vu pendant toute mon enfance des scènes de haine et de mort similaires à celle-ci. Comme ce groupe de 50 gars qui se battaient à la machette en face de ma maison pendant que je jouais à la Playstation;  j’avais même un couteau à 10 ans pour me défendre…
C’est des choses qui marquent, qui te forcent à réfléchir plus et qui te font grandir très tôt. 

Je dessine depuis tout petit, j’ai été très inspiré par Dragon Ball Z, la Renaissance et les cultures tribales pour les valeurs humaines et l’envie de se battre qu’ils véhiculent. Le dessin, c’est une manière d’évacuer, de vider tout ce que j’ai sur l’esprit et sur l’âme. 

Ma mère m’a encouragé à m’inscrire au Beaux-Arts, elle-même aurait voulu être artiste, c’est comme ça que je suis arrivé au Liban en 2012. J’avais 18 ans. Mes parents sont Libanais et m’avaient laissé le choix de m’y installer pour mes études. J’y ai découvert une jeunesse très complexe mais d’une grande créativité. Je me suis beaucoup retrouvé dans le peuple libanais, j’y appartiens. 

Pourtant, juste avant le début de la révolution, ma carrière prenait une tout autre direction. J’allais arrêter les dessins politiques, que j’avais commencés en 2012 et pour lesquels j’avais été publié la première fois en 2014. J’y dénonçais la corruption et toutes les choses qui n’allaient pas, mais rien ne changeait. J’étais fatigué du Liban, j’avais besoin d’air. Je comptais explorer le dessin dans l’animation et la musique et déménager pour découvrir d’autres parties du monde.

Le soir où la révolution à commencé, je ne pouvais pas dormir. J’ai dessiné toute la nuit un phoenix. C’était une manière de représenter le peuple libanais qui a souvent été brûlé jusqu’aux cendres et qui depuis, tente de se reconstruire. En publiant ce dessin, je voulais donner de l’énergie et de l’espoir aux gens. 

Le lendemain, j’ai reçu un appel de mes cousins me disant que les gens dessinaient dans la rue, qu’il fallait que je vienne. J’ai alors commencé à peindre sur les murs. C’était une première pour moi. J’ai fait un petit dessin et les gens me regardaient, m’aidaient, c’était hyper positif. C’était ma manière à moi de manifester. Je voulais représenter les sentiments des gens, leurs messages. C’est un appel à la résistance. 

J’ai l’impression que la révolution me ramène un peu à mon enfance en Côte d’Ivoire, au combat du peuple contre une classe politique corrompue dans le but d’avoir simplement une vie décente. Finalement c’est un peu la lutte de l’humanité tout entière. 

Aujourd’hui, je suis tellement investi dans la révolution que je ne peux pas partir. Je veux faire ce que je peux en tant que jeune garçon, citoyen et artiste. Mais si la révolution ne marche pas, si on revient au même cercle vicieux, je partirai.
Ici on ne vit pas, on survit. Je cherche juste à être heureux. “ 

Ivan Debs, 26  ans, artiste

Texte et photo: Jeanne-Lore Garcia