« Je me dirais: ne te lance pas tout seul! »

On vous l’accorde: la vie d’entrepreneur, ca peut faire rêver, et on est les premières à  L&F à essayer de vous inspirer, avec nos portraits de créateurs d’entreprise. Mais tout ce que vous ne voyez pas derrière ces histoires ce sont les difficultés, les échecs, les doutes qu’ils ou elles ont pu rencontrer durant leur parcours du combattant ! On a alors décidé de vous dévoiler la face cachée de l’entrepreneuriat dans cette rubrique sur les entrepreneurs de Labneh&Facts, un an après ! Découvrez les leçons qu’ils ou elles ont pu tirer de cette aventure. Car dans chaque épreuve, il existe plein d’opportunités !

Cette semaine, on vous parle de Rabih Naja, 24 ans, fondateur de Refugogo, une plateforme de financement participatif qui aide les réfugiés syriens à reconstruire le business qu’ils ont perdu pendant la guerre.

Reporting et écriture: Rachel Notteau et Soraya Hamdan
Edition:MJ Daoud

Rabih Naja, founder @ Refugogo. Photo: Rachel Notteau

L’histoire de Refugogo : 

“J’ai grandi en sachant que je n’irai jamais à l’université. Après le lycée, j’aurais dû travailler dans l’entreprise de mécanique de mon père car mes parents n’avaient pas les moyens de me payer les frais d’inscriptions. Mais ils m’ont toujours appris qu’il fallait aider les plus démunis. Ils me répétaient tout le temps «  N’aies pas peur d’aider les plus faibles ».

C’est pourquoi, au lycée en 2013 j’ai participé à un concours pour trouver des solutions au problème d’électricité au Liban et j’ai gagné !

Ca a changé ma vie car j’ai remporté une  bourse d’étude pour étudier à l’université. Là bas, j’ai participé en 2017 à une autre compétition qui s’appelait « Hot Prize ».

Il fallait trouver une solution pour aider un million de réfugiés à trouver du travail. Avec une amie, nous avons présenté le projet d’une école qui donnerait des cours aux réfugiés dans le but de les aider à  retourner sur le marché du travail. On n’a pas remporté le prix mais j’ai quand même décidé d’arrêter l’université pour me consacrer pleinement à ce projet. Je n’aimais pas les études, je n’ai pas voulu perdre de temps.  J’ai préféré me lancer dans quelque chose que j’aimais vraiment : lancer une start-up pour aider les réfugiés syriens.

En fait, je crois que j’ai toujours rêvé d’être un “self-made man”, c’est-à-dire réussir dans la vie par mes propres moyens. Et grâce à cette nouvelle compétition, je me suis découvert une passion pour la création de projets et pour apporter mon aide aux plus démunis.  

Le Concept

Après avoir retravaillé l’idée originale, j’ai développé le projet pour en faire une plateforme de financement pour aider les réfugiés à reconstruire le business qu’ils ont perdu pendant la guerre.
J’ai eu cette idée quand j’ai rencontré un Syrien qui vend des fleurs près du Mcdonald sur la Corniche. Il m’a raconté que son entreprise de nettoyage avait été détruite pendant la guerre. Il m’a dit qu’il avait besoin d’argent pour la remettre sur pieds une fois qu’il pourrait rentrer en Syrie.
C’est comme ça que j’ai pensé à lancer une plateforme de financement pour aider  les réfugiés à se reconstruire et j’ai fondé Refugogo en juin 2017. 

Refugogo aide les réfugiés de collecter de l’argent via du financement participatif (crowdfunding) pour remettre leur entreprise détruite par la guerre sur pieds.
Les investisseurs intéressés par le projet devaient s’inscrire sur la plateforme et investir un montant minimum de 100 dollars.

Où en est Refugogo aujourd’hui ? 

Malheureusement Refugo n’existe plus depuis un an et demi, même si le projet a gagné plus de 10 prix!
Ce que je ne savais pas c’est que pour créer une plateforme de financement légalement, il faut payer une licence de 500 000 dollars à l’Etat libanais. C’était une somme que je ne pouvais pas avoir ! Du coup, je me suis renseigné sur les licences à l’étranger et j’ai trouvé la licence britannique FCA qui coûte beaucoup moins cher. J’ai payé 20 000 dollars pour l’obtenir. Mais après six mois d’attente, la commission britannique ne me l’a pas attribuée.
Sans la licence, Refugogo ne pouvait pas continuer à exister. J’ai donc fermé la compagnie en début d’année 2018. 

Qu’as-tu appris de cette épreuve? 

J’aurais dû faire plus de recherches, car même si tout était en ordre, le monde de l’entreprise est très compliqué; j’aurais dû plus me renseigner pour éviter de mettre autant d’argent dans un projet qui n’a pas tenu. Comme je n’avais pas de connaissances dans l’entrepreneuriat, j’ai dû tout apprendre sur le tas comme le marketing, la finance, le capital et les actions, les investissements à la banque.
Et j’aurais dû me rendre sur le terrain à la rencontre des réfugiés, dans la rue, dans les camps de réfugiés avant de lancer une start-up dans un domaine que je connais peu. Au final je ne connaissais pas grand chose quand je me suis lancé,  ni sur le statut des réfugiés, ni même sur les plateformes de financement. 

Du coup, qu’est-ce que tu voudrais dire aux entrepreneurs qui se lancent aujourd’hui?

Ne le faites pas seul ! J’ai fondé Réfugogo seul et je le referai pas. J’ai travaillé énormément sans aide. Et ça m’a vidé de mon énergie, je n’avais pas de temps pour me reposer.  J’aurais bien aimé avoir des conseils, des personnes qui puissent m’aiguiller. 

Qu’est-ce que cette aventure t’as appris sur toi-même?

Avant de fonder Refugogo, j’étais très timide et renfermé sur moi-même. Au lycée, mes camarades me rejetaient car je parlais très vite et ils ne me comprenaient pas. A cause de cela, je me suis braqué et je ne savais plus comment parler aux gens. Je n’avais plus envie de parler car j’avais peur qu’on se moque de moi. Mais avec Refugogo, j’ai dû faire un travail sur moi-même notamment pour pitcher mon projet. J’ai dû me forcer à discuter avec des gens que je ne connaissais pas pour présenter ma start-up. Je l’ai fait pour Refugogo, qui en valait la peine. Et maintenant, je n’ai plus peur de parler devant des gens et j’ai repris confiance en moi.
Alors même si Refugogo a dû fermer je ne regrette pas cette aventure qui a changé ma vie et m’a permis de trouver ma voie dans l’entrepreneuriat. 

Et maintenant ? 

Aujourd’hui je travaille sur plusieurs projets en même temps dont un projet permanent avec les Nations Unies, une opportunité que j’ai eue grâce à Refugogo.

Refugogo m’a permis d’entrer dans un monde, celui de l’entrepreneuriat, que je ne connaissais pas.  

Aujourd’hui mon rêve est de trouver une nouvelle idée qui pourra aider pleins de gens et qui cette fois fonctionnera. Je me fais pas de soucis, je sais que ça viendra, lorsque j’aurais trouvé le partenaire parfait et LA bonne idée. « 

Refugogo en bref:

Date de création de la startup : juin 2017 
Nombre d’employés :  0 (j’ai fondé Refugogo tout seul et quelques amis m’ont aidé à créer la plateforme) 
Capital il y a un an : J’ai obtenu 40 000 dollars d’un ami chef d’entreprise qui a accepté d’investir dans Refugogo  en échange de 35% de parts. Son investissement m’a permis de payer la licence (que je n’ai pas obtenue) et de fonder Refugogo. 
Statut de l’entreprise : C Corp (c’est une forme d’entreprise américaine qui garantit une responsabilité limitée à ses actionnaires)