“ Pour moi, la sexualité n’a jamais été quelque chose de tabou ou de honteux. J’ai grandi en France de mère française et de père libanais. Là-bas, comme tous les ados français, j’ai eu la chance d’avoir facilement accès à toutes les informations dont j’avais besoin concernant la sexualité: c’est quoi la contraception, comment se protéger lors des rapports… en bref, comment avoir une vie sexuelle saine.

Mais en En 2001, quand je suis arrivée au Liban pour faire mes études de médecine, ça a été le choc.
J’étais logée dans  les dortoirs de l’AUB, et je vivais avec des gens venant de différentes régions du Liban. L’ambiance était très conservatrice. C’est là que j’ai vraiment réalisé le poids du tabou autour du sexe et le manque d’éducation des jeunes sur le sujet. Je sentais que je ne pouvais pas être moi-même ou m’exprimer ouvertement sans être jugée. J’avais l’impression d’être différente, d’être “trop” ouverte. Les jeunes Libanais faisaient leur crise d’adolescence à retardement : tout ce que j’avais déjà vécu au lycée, ils le vivaient à l’université. Ça a été assez dur de m’habituer aux mentalités et j’ai mis plusieurs années à m’y faire. 

A l’époque le Liban était bien plus traditionnel sur les questions entourant la sexualité. C’était dur par exemple de trouver un gynécologue qui ne jugeait pas ses patientes si elles n’étaient plus vierges. Et c’était pareil en pharmacie, les filles qui achetaient des tests de grossesse étaient souvent mal vues et on leur faisait des commentaires déplacés. Même en formation de gynécologie, on avait l’habitude de demander aux patientes si elles étaient « mariées » plutôt que si elles étaient « actives sexuellement », comme si on ne pouvait pas concevoir une activité sexuelle en dehors du cadre marital !

Une fois diplômée en médecine, je me suis spécialisée en gynécologie, toujours  à l’AUB. A la base, je voulais plutôt être psychiatre, mais j’ai eu un vrai coup de cœur lors du premier accouchement auquel j’ai assisté pendant un stage. Je me suis ensuite spécialisée en fertilité en Belgique,  avant d’ouvrir mon cabinet au Liban en 2014. 

Même si les mentalités ont bien évolué depuis que je suis arrivée au Liban il y a 15 ans, il y a encore un vrai manque d’éducation sexuelle, dû au tabou qui entoure le sexe. Des jeunes filles de 18 à 25 ans me posent encore des questions de base comme : « J’ai fait du cheval est-ce que tu peux vérifier si je suis encore vierge? » ou encore « comment mettre un tampon ? Qu’est-ce que ça veut dire si j’ai un jour de retard de règles ? Est-ce que je peux avoir un certificat de virginité ? ». En fait, les filles sont complètement obsédées par leur virginité et elles la confondent avec la présence de leur hymen. Alors que ça n’a rien à voir ! Perdre sa virginité c’est quand on a son premier rapport sexuel, et c’est tout…Il y a des filles qui naissent sans hymen, d’autres qui ont un hymen hyper élastique et qui ne saigne pas, d’autres qui le perdent en faisant du sport. Alors non, je ne pratique pas de “tests de virginité”, ni ne délivre de certificat de virginité, car c’est impossible de savoir si une femme est vierge en regardant son hymen ! D’ailleurs, pour l’OMS ce genre de pratiques s’apparente à de la torture, elles sont sexistes, traumatisantes et non scientifiques.

En fait, tout ce manque d’éducation, ce n’est pas la faute des jeunes Libanais et Libanaises. Ils n’ont pas d’information sur leur corps et la sexualité, ni à la maison ni à l’école. Du coup, ils vont sur des sites peu fiables ou pire, sur des sites de porno, pour faire leur éducation.

J’ai voulu faire quelque chose, leur apporter des réponses médicales et scientifiques à leurs questions, car c’est leur santé qui est en jeu. En bref, j’ai voulu leur apporter une éducation sexuelle, c’est-à-dire des infos fiables sur comment se protéger, c’est quoi la virginité, le risque des IST, le consentement, comment prendre la pilule, pourquoi c’est important de faire un frottis… Toutes ces questions basiques mais si importantes !

C’est comme ça que j’ai eu l’idée en octobre 2017 de créer un compte Instagram (@dr.gael) où j’apporte aux jeunes, entre autres, les infos dont ils ont besoin pour vivre une vie sexuelle saine et protégée. Cette page inclut en plus des infos sur la santé de la femme en général, sur la grossesse et l’infertilité. Je donne aussi des conférences aux parents sur comment aborder la question de la sexualité avec leurs enfants (jeunes et adolescents). L’éducation sexuelle commence dès le plus jeune âge !  

Parce que, même si le sexe est tabou dans la société libanaise, devinez quoi ? Les gens couchent quand même ensemble ! Et je suis persuadée que si les jeunes, et surtout les jeunes femmes apprennent à connaître leur corps et à y faire attention, cela leur permettra d’éviter des pathologies graves (IST) et des pratiques à risque (grossesses non voulues, abus sexuels…). C’est tout simplement de la prévention  ! ”

Gaël Abou Ghannam, 35 ans, est gynécologue depuis 2014 au Liban en cabinet privé et à l’hôpital Bellevue Medical center. Elle anime depuis 2017 une page Instagram qui traite de sujets liés à la santé de la femme et à la sexualité. Son ambition est d’aider la nouvelle génération de Libanais à avoir une sexualité épanouie et consciente. 


Cet article fait partie de notre enquête sur la sexualité au Liban, #LFonsexuality

Reportage et écriture: Nada Maucourant Atallah & Soraya Hamdan
Photo: Nada Maucourant Atallah
Edition: MJ Daoud